État des lieux et réflexions sur les perspectives d’évolution de la French Tech. A l’heure où les sociétés « tech », les startups et les devises décentralisés prennent une place grandissante dans l’économie, comment est-ce que la French Tech doit elle se positionner ? Quel rôle doit elle avoir pour l’État ? La communauté French Tech est un actif indéniable pour l’État qui doit saisir l’opportunité de la développer tel son bras armé dans l’économie numérique. Sa mission doit être de positionner la France comme nation leader sur la carte des écosystèmes startup et de la supporter dans l’orientation de sa stratégie d’innovation.
Avant de parler de la French Tech, il me semble important de citer quelques éléments pour situer le contexte dans lequel nous évoluons :
En 2011, alors que la plupart des investisseurs institutionnels se méfient encore des sociétés « tech » depuis la bulle des années 2000, Marc Andreessen, associé chez a16z (fonds d’investissement en capital-risque), déclare « software is eating the world.» Il explique que tous les secteurs de l’économie vont être bouleversés par les sociétés « tech » :
« [His] own theory is that we are in the middle of a dramatic and broad technological and economic shift in which software companies are poised to take over large swathes of the economy. »
Ci-dessous quelques chiffres pour appuyer la théorie de Marc Andreessen depuis la rédaction de son billet :
Au-delà du développement de l’économie numérique, les règles de l’économie entière sont en train d’être redéfinies, par le logiciel mais aussi par l’émergence de communautés, certaines avec leurs propres monnaies.
Au sein du mouvement « tech » depuis les années 2000, de nombreuses communautés ont émergés ; des communautés d’utilisateurs controlées par Facebook ou LinkedIn, mais également des communautés niches comme Digital Nomads (43,000 membres) ou encore Hardware Club regroupant les 330 meilleurs startups hardware dans le monde.
Ces communautés sont convoitées par tous; les business veulent accéder aux communautés d’utilisateurs de Facebook et LinkedIn pour acquérir des utilisateurs ou clients et vendre leurs produits ; les grands groupes veulent accéder aux communautés pour anticiper l’évolution de leur secteur; les investisseurs ont besoin d’identifier des opportunités d’investissements ; les media ont besoin d’information ; les startups ont besoin d’utilisateurs, de talents, etc.
Alors que nous évoluons d’une économie industrielle vers l’économie numérique, les communautés deviennent un actif clé dans le milieu des affaires.
Celles-ci génèrent des richesses aux profits d’entreprises lorsque les communautés vivent sur application centralisée, c.-à-d. application layer (ex : Facebook). Facebook a généré US$ 40.7 milliard de revenus en 2017 grâce à sa « communauté » d’utilisateurs ; LinkedIn a été racheté US$ 26 milliard par Microsoft ; le fondateur (seul) de Digital Nomad génère US$150 000 par an en monétisant une communauté ; Hardware Club est devenu un fonds d’investissement privilégié car ayant accès à une communauté de 330 startups hardware.
Les communautés sont l’actif principaux des ces sociétés. Ces dernières leur confèrent un avantage compétitif dans l’économie numérique. Un associé de Hardware Club, explique alors que certains investisseurs hardware consultent systématiquement Hardware Club pour récupérer de l’information avant de prendre leur décision d’investissement.
Hardware Club a su se positionner comme les yeux et les oreilles des investisseurs dans le hardware.
D’autres communautés ont également été créées autour de nouvelles applications décentralisées (c.-à-d. protocol layers) telles Bitcoin ou Ethereum. A l’inverse des communautés sur application centralisée ces organisations génèrent de la valeur financière aux profits de leurs communautés. Aujourd’hui la capitalisation totale des devises décentralisées s’élève à US$ 335 milliards.
Ces éléments sont mis en perspective en quatre étapes à travers « The Network State » présenté par Balaji Srinivasan, associé chez a16z :
Dans la lignée du billet d’opinion de Marc Andreessen, Balaji Srinivasan explique que :
« Just like every company is becoming a software company, every country will be forced to become a software country. »
Balaji Srinivasan raconte que les communautés qui opèrent un système monétaire décentralisé remettent en question la définition de nation et que celle-ci vont en venir à concurrencer les Etats.
Son argument est le suivant :
« Today we have nation state where geography is primary and ideology is secondary (e.g. ideology can be communist, capitalist, etc.). Ideology changes, geographic boundaries don’t. »
Il explique que dans l’État réseau, l’idéologie reste la même, l’endroit, le lieu géographique, les frontières importent peu.
Balaji Srinivasan prend comme exemple la rencontre annuelle Ethereum. En 2016 la rencontre a eu lieux à Shanghai en Chine, en 2017 à Cancun au Mexique.
« Same people, different places, same beliefs » –Balaji Srinivasan
En plus de la transition vers l’économie numérique, Reda Cherif et Fuad Hasanov, économistes au FMI, suggèrent que les États devraient adopter une stratégie d’attraction de l’innovation plutôt qu’une stratégie d’attraction du capital.
Dans ce contexte, comment l’État doit-il se positionner ?
Quel doit être le rôle de La French Tech ?
La French Tech est un outil— une communauté globale au sein des écosystèmes startups — à forte valeur ajoutée, auxquelles les grands groupes, investisseurs, média et startups veulent accéder pour comprendre comment se construit l’économie numérique, identifier des opportunités d’investissements, ou trouver des utilisateurs, clients, talents, etc.
Aujourd’hui, peu de communautés globales existent aux cœurs des écosystèmes de startups. Deux acteurs Américains sont présents à l’international : Startup Grind financé en partie par Google, et Techstars.
Aucun État n’a réussi à créer une communauté aussi répandue que la French Tech.
Nous devons saisir l’opportunité de développer cet actif. La French Tech doit être le bras armé de l’État dans l’économie numérique pour le positionner sur la carte des écosystèmes startups, le supporter dans sa transition vers l’économie numérique, dans sa stratégie d’attraction de l’innovation.
Le rôle de La French Tech est de :
Une structuration du type « comité » et « hub » pourrait être un frein au développement. Il existe aussi un risque que La French Tech devienne une association business pour français à l’étranger.
Les startups n’ont pas de nation et évoluent dans un monde où la technologie n’a pas de frontière. Il est contraignant de vouloir réduire le développement des communautés French Tech à des « hubs » et à une gouvernance exclusive en « comités ». Comme l’avait expliqué Brad Feld, co fondateur de Techstars : « the best startup communities are loosely organized and consist of broad, evolving networks of people. » De plus, certains hubs (et comité) auraient tendance à se concurrencer. Peut-être pourrait-on opérer sous un autre modèle de fonctionnement tel que celui mis en place à Hong Kong & Shenzhen—voir « fonctionnement opérationnel » ci-dessous.
Il existe également un risque que La French Tech se transforme en association d’évènements de réseautage business pour français à l’étranger—notamment dans les écosystèmes moins matures où il y a moins de startups (et de fondateurs). Encore aujourd’hui, beaucoup de gens ne comprennent pas le rôle de La French Tech et le confonde avec celui des chambres de commerce et de l’industrie ou même de Business France.
Pour faire référence au « Golden Circle » de Simon Sinek : que doit être le why, la raison d’être, de La French Tech ? En quoi croyons-nous ?
Nous devons construire cette communauté globale parce que nous savons que la communauté est l’actif qui a le plus de valeur dans l’économie numérique. C’est sur ce principe que doit s’appuyer la vision de la French Tech. C’est à travers le développement de cette communauté que la French Tech doit remplir sa mission.
Des acteurs volontaires français ont déjà donné un premier élan au mouvement global, ils ont permis la création des « hubs », indépendant les uns et des autres, et libre de toute stratégie de développement.
Si nous voulons continuer à développer le réseau international il est primordial de définir ce qu’est la French Tech et d’établir une stratégie de développement.
La French Tech doit se positionner comme opérateur de communauté (le terme community builder est couramment utilisé en Anglais).
Qu’est-ce qu’un opérateur de communauté dans le contexte de La French Tech ?
La communauté est l’actif. Lors d’une participation à des actions, l’opérateur de communauté fournit ce qui a le plus de valeur dans l’économie numérique : le trafic (c.-à-d. des gens, l’audience) –hors ligne ou en ligne—et le contenu. Ce sont ces deux ressources.
Hors ligne—lors d’évènements—la contribution d’un opérateur de communauté se traduit par un apport en contenu c.-à-d. un (des) intervenant(s), et un apport en trafic c.-à-d. l’audience. Il ne s’implique pas dans l’organisation de l’évènement en propre (il n’est pas opérateur de services).
En ligne, c’est la même chose, il apporte du contenu via sa communauté—pensez aux stratégies de Facebook et LinkedIn pour faire en sorte que vous créiez du contenu sur leur site ; et du trafic—pensez aux publicités (au trafic) que Facebook et LinkedIn vendent. C’est comme cela qu’ils monétisent leurs communautés, leur communauté est leur actif, leur communauté est le produit.
Au-delà de son rôle d’opérateur de communauté, La French Tech doit être perçue comme une communauté indépendante, non pas comme un outil de promotion de l’État. Sa perception comme appareil de l’État pourrait réduire la crédibilité du mouvement et son action d’influence.
En plus de se positionner comme un opérateur de communauté, la French Tech doit inscrire sa stratégie de développement dans l’ère numérique.
La croissance de la communauté doit se faire par la création de contenu.
Au même titre que les startups, le développement de la French Tech doit se faire en phase avec l’économie numérique, dans la même lignée que les modèles économiques à économie d’échelle (à fort potentielle de croissance) et répétables que les startups cherchent.
L’effort de développement de la communauté globale French Tech ne pourra être pérennisé et croitre durablement que par le biais de création de contenu en ligne (c.-à-d. lettre d’information, blog, cartographie, podcast, etc.) ; difficilement si La French Tech devient un opérateur de services (c.-à-d. un organisateur d’évènements).
Dans l’économie numérique, le meilleur moyen d’influencer de faire rayonner son expertise est de délivrer de la valeur, on ne peut plus se contenter de seulement « dire », « évoquer », « annoncer » par des campagnes de communication, de relation publique ; on doit « faire », « délivrer », « prouver » notre expertise par le contenu.
Important : le rôle de la French Tech (et des coordinateurs) n’est pas de créer ce contenu seul mais de jouer un rôle d’agrégateur du contenu produit par les acteurs de l’écosystème.
Aggrégation de contenus et de ressources en ligne :
Note : le partage de connaissance aux non français via les cartographies publiques, la lettre d’information en anglais (ou langue locale), la publication permettent d’assoir l’expertise et la crédibilité de la communauté French Tech comme acteur à part entière de l’écosystème startup global mais aussi de faire la promotion de l’écosystème startup français dans le but d’attirer startups et investisseurs étrangers en France.
La French Tech doit avoir une approche opérationnelle lean, la communauté ne doit pas avoir de frontière, elle doit être inclusive. Son modèle de structuration doit s’inscrire en phase avec l’économie numérique (et non celui de l’économie de l’industrie).
Deux cercles dans la communauté :
Mots d’ordre du coordinateur :
« Le but de l’organisateur est la création de pouvoir pour les autres » — Saul Alinsky ;
Le coordinateur a pour rôle de développer la communauté dans une zone géographique — ou zone sectiorielle e.x. : hardware –, sa mission est de :
La French Tech doit se positionner comme une organisation d’influence capable de positionner la France comme une nation leader dans l’économie numérique, sur la carte des principaux écosystèmes startups et investissements en capital-risque. Il s’agit de favoriser l’émergence d’entreprises leaders mondiaux émanent de l’écosystème start-up.
La communauté French Tech est un actif clé pour l’État. Aucun autre État n’a réussi à développer un actif tel.
La vision et la stratégie de développement de la communauté doivent être coordonnées de manière transversale et pluridisciplinaire et s’inscrire dans l’économie numérique au-delà des barrières géographique et sectorielle. La communauté doit être structurée en ligne via l’engagement et l’agrégation de contenu. L’État doit également s’appuyer sur cette communauté dans son travail de veille et d’analyse de l’économie numérique.